Dans son analyse partagée à infordc.com ce vendredi 27 juin 2024, l’acteur politique congolais Gaston TULINABO, a longuement critiqué les consultations que mène actuellement l’ancien président de la République Démocratique du Congo Joseph Kabila Kabange dans les zones occupées par les rebelles de l’AFC-M23. Pour Gaston TULINABO, Joseph Kabila avait déclaré lui-même avoir manqué 15 personnes avec qui, il pouvait travailler pourtant les mêmes personnes qu’il consulte aujourd’hui existaient toujours et n’avait fait aucune allusion à elles. Pourquoi les consulter maintenant ? Sinteroge-t-il.
Voici ci-dessous l’intégralité de son analyse :
L’histoire politique de la République Démocratique du Congo retiendra sans doute les 18 années de règne de Joseph Kabila Kabange comme l’une des périodes les plus paradoxales de gouvernance. L’ancien président, qui a exercé le pouvoir de 2001 à 2019, a souvent été accusé d’avoir marginalisé les intellectuels, en particulier les professeurs d’université. Pourtant, à la surprise générale, son retour discret mais actif sur la scène politique semble aujourd’hui marqué par un rapprochement inattendu avec cette même élite intellectuelle qu’il a longtemps ignorée.
Un pouvoir marqué par le mépris des intellectuels
Durant ses 18 ans au sommet de l’État, Joseph Kabila n’a jamais véritablement sollicité les professeurs d’université dans la réflexion stratégique ou la gouvernance du pays. Les rares consultations politiques ou cadres de concertation intellectuelle n’ont jamais inclus cette couche pourtant essentielle à la production de pensée, à la planification du développement et à la consolidation d’un État fort. Pire encore, les conditions de vie et de travail des professeurs d’université se sont considérablement dégradées sous son régime : salaires dérisoires, manque de sécurité sociale, infrastructures académiques vétustes, et un désintérêt politique quasi total.
Plus grave, à certains moments de son règne, il a été insinué qu’il n’y avait pas en RDC une quinzaine d’intellectuels dignes de confiance pour penser l’avenir du pays. Une affirmation insultante et profondément blessante pour la communauté scientifique nationale, surtout lorsque ces paroles semblaient justifier le recours à des experts étrangers ou des décisions prises dans le cercle restreint du pouvoir militaire.
Un retour sous forme d’opération séduction ?
Aujourd’hui, alors que la République traverse des moments critiques dans l’Est du pays – avec des zones entières sous contrôle ou influence rebelle – Joseph Kabila opère un retour étrange sur l’échiquier national, notamment par des contacts directs avec les intellectuels. Des invitations sont adressées à des professeurs, des réunions s’organisent à Goma, et plus récemment à Bukavu, où il a été vu entouré de plusieurs professeurs d’université.
Mais pour leur dire quoi ? Sur quoi veut-il encore influer après avoir lui-même passé presque deux décennies à gouverner sans eux ? Ce rapprochement tardif sonne comme une tentative désespérée de récupérer une légitimité intellectuelle qu’il n’a jamais cherchée durant son règne. Une honte pour un homme sur qui le Congo attendait la sagesse, mais qui, au lieu de bâtir une nation éclairée, a préféré régner dans l’ombre de la méfiance envers l’intelligence nationale.
Le devoir de mémoire et de dignité
Il convient ici de rappeler aux professeurs d’université leur rôle stratégique dans la société. Ils ne sont pas de simples réservoirs d’opinion, encore moins des instruments de repositionnement politique. Leur rôle est d’éclairer la nation, de proposer des alternatives, mais surtout de rester vigilants face à toute tentative de récupération politique déguisée en dialogue intellectuel.
Refuser de s’associer à une telle démarche n’est ni de l’arrogance, ni de l’ingratitude : c’est un acte de conscience et de dignité. Accepter sans interroger le passé, c’est cautionner l’effacement de l’histoire et faire le lit de nouvelles trahisons.
Chers professeurs, chers penseurs de la nation, vous avez été oubliés quand il fallait vous valoriser. Aujourd’hui, soyez sages, mais aussi intelligents. Refuser certaines invitations peut être un acte plus pédagogique que mille conférences. Car un intellectuel ne se mesure pas seulement à son savoir, mais à sa capacité de dire non à l’humiliation et à l’opportunisme.
Rédaction