Cet article analyse la réapparition publique de Joseph Kabila, ancien président de la République Démocratique du Congo, à travers une série d’interventions médiatiques en 2025. En s’appuyant sur une approche politico-discursive et une lecture critique des rapports entre mémoire politique et légitimité post-régime. La réflexion interroge la fonction stratégique du terme « à bientôt », employé de manière récurrente par Kabila, comme modalité d’ancrage symbolique dans le champ politique congolais. L’analyse met en lumière une tension entre désir de réactivation politique, effritement du capital symbolique, et incapacité à intégrer les dynamiques contemporaines de souveraineté populaire, notamment incarnées par les Wazalendo.
Le silence de l’ancien président sur les jeunesses engagées, les victimes du conflit et les femmes révèle également les limites d’un discours politique centré sur l’héritage personnel. Ce cas illustre ainsi les impasses d’une stratégie post-présidentielle dans un contexte de transition inachevée.
1. Introduction
Figures de l’après-pouvoir et temporalités politiques suspendues
La trajectoire de Joseph Kabila depuis son retrait de la présidence en 2019 s’inscrit dans un archétype bien connu des régimes post-autoritaires africains, celui du chef d’État en veille, cultivant une latence stratégique (Bayart, 2008 ; Mbembe, 2000). Cette posture repose sur une logique de rétraction du visible, tout en préservant des leviers d’influence dans les appareils partisans et institutionnels.
Il est notable que, durant ses dix-huit années de règne, Kabila n’a jamais réussi à fédérer autour de lui une base politique solide composée d’au moins dix-huit figures congolaises crédibles et autonomes, signe d’une fragilité structurelle dans la construction de son pouvoir. Cette absence d’un collectif politique robuste a contribué à limiter la portée de son héritage et à fragiliser sa position dans l’après-présidence.
C’est dans ce cadre qu’il convient d’interroger ses discours de 2025, marqués par un retour médiatique limité mais hautement symbolique, structuré autour de la promesse différée « son à bientôt ».
2. Le « à bientôt » comme performatif Politique vraie
L’usage réitéré du mot « à bientôt » ne relève pas du simple effet rhétorique. Il constitue un acte performatif ambigu, entre suspension du jugement, anticipation d’un retour et refus de l’effacement. Dans les théories du populisme (Laclau, 2005 ; Moffitt, 2016), ce type de flou discursif est caractéristique des leaders tentant de maintenir leur centralité sans projet explicite.
Le « à bientôt » de Kabila fonctionne ainsi comme un outil de maintien de visibilité dans un champ politique dominé par l’incertitude, tout en évitant de s’engager dans un rapport dialectique avec l’opposition ou le pouvoir en place.
3. Érosion du capital symbolique et mémoire dissonante
La réception de cette parole révèle un phénomène de « fatigue mémorielle » (Nora, 1984), où le passé de Kabila autrefois associé à une stabilité relative est désormais perçu, notamment par les jeunes générations, à travers le prisme d’un autoritarisme discret, d’une gouvernance clientélaire et d’un report prolongé des échéances démocratiques (2016–2018).
Le contraste entre la volonté de réhabilitation et la réticence sociale manifeste une rupture de la chaîne de transmission symbolique. Kabila ne parvient plus à incarner une figure de continuité ni de renouvellement.
4. Invisibilisation des Wazalendo, de la jeunesse, des victimes et des femmes
Dans un contexte de guerre prolongée dans l’Est de la RDC, les groupes d’autodéfense communautaires dits Wazalendo ont émergé comme acteurs centraux de la souveraineté locale. Issus de dynamiques de résistance historiquement ancrées (Maï-Maï), ces groupes incarnent une forme d’autonomisation sécuritaire face à la défaillance de l’État central (Eriksson Baaz & Verweijen, 2013).
Or, les discours de Joseph Kabila en 2025 se caractérisent par une omission notable de ces acteurs. Ce silence révèle une double posture d’une part, une volonté de délégitimer une initiative postérieure à son régime ; d’autre part, un rejet implicite des formes de souveraineté alternatives qu’il ne contrôle pas.
Ce silence s’étend également à d’autres figures fondamentales de la recomposition politique et sociale du pays : la jeunesse, les femmes et les victimes du conflit. Alors même que les mouvements sociaux, les collectifs féminins et les initiatives citoyennes portées par les jeunes sont au cœur de la mobilisation contemporaine pour la souveraineté, leur absence dans les discours de Kabila marque une déconnexion profonde avec les forces vives du pays. La marginalisation de ces groupes, victimes directes ou acteurs critiques du conflit, renforce l’image d’un discours politique fossilisé, incapable d’interpeller les nouveaux imaginaires de justice, de reconnaissance et d’émancipation.
Par ailleurs, la proximité ambiguë de Kabila avec le M23 et le Rwanda, acteurs centraux du conflit à l’Est, renforce un silence politique ambivalent. Ce positionnement contribue à la recomposition d’un récit sécuritaire centré sur l’ancien régime, occultant les dynamiques populaires autonomes et marquant une continuité problématique avec des alliances controversées. Cette posture complexifie la compréhension des enjeux de légitimité et de souveraineté dans la région.
5. Conclusion
L’analyse des discours publics de Joseph Kabila en 2025 révèle la complexité des stratégies discursives employées par un ancien chef d’État dans un contexte de transition politique incertaine. L’emploi récurrent du terme « à bientôt » fonctionne comme un marqueur performatif ambigu, destiné à maintenir une visibilité symbolique sans engagement explicite, mais aussi à différer un retour politique incertain. Cette tactique traduit les tensions inhérentes à une posture post-présidentielle où le capital symbolique s’érode progressivement sous le regard critique d’une société en mutation.
Durant ses dix-huit années de règne, Kabila n’a jamais réussi à s’entourer d’une base politique solide composée d’au moins dix-huit figures congolaises crédibles et autonomes, ce qui illustre une fragilité structurelle de son appareil de pouvoir. Cette absence d’un véritable collectif politique pérenne a affaibli son héritage et exacerbé les difficultés de légitimation post-présidentielle.
Par ailleurs, sa proximité ambiguë avec le M23 et le Rwanda, acteurs centraux du conflit à l’Est ainsi que son silence persistant sur les victimes, la jeunesse engagée et les femmes, trahit une incapacité à inscrire son discours dans les réalités sociales et politiques contemporaines de la RDC. Ce déficit d’attention aux forces transformatrices actuelles reflète un enfermement mémoriel, où l’ancien président semble rejouer des formes d’autorité passées sans prise sur les nouveaux vecteurs de légitimité.
En somme, le cas de Joseph Kabila en 2025 met en lumière les impasses d’une stratégie post-pouvoir fondée sur l’ambiguïté, la mémoire sélective et l’exclusion symbolique des voix émergentes. Il invite à une réflexion élargie sur les conditions d’une légitimation politique dans les régimes post-autoritaires africains, marqués par la pluralité des souverainetés, l’aspiration à la reconnaissance des victimes, et l’affirmation de nouvelles générations politiques.
Analyse du Centre de Recherches et d’Études Stratégiques en Afrique Centrale « CRESA » en collaboration avec le Collectif Amka Congo, sur le discours de Joseph Kabila, Mai 2025.
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